Les personnages libertins

Les personnages libertins

 

Or cette liberté de pensée se retrouve dans les conversations de salon, mais également dans la façon dont les romanciers traitent le récit et refusent les règles. Par exemple, dans Jacques le fataliste de Diderot (1774), le lecteur a l'impression de participer à l'élaboration du roman, ce qui est tout à fait nouveau pour l’époque. Le libertinage a ainsi des conséquences sur la littérature. On assiste donc à un dérèglement des mœurs, transposé dans la littérature par le biais de personnages de romans dits libertins. Des romans dont l’apogée s’est inscrite au XVIIIe siècle. Le plus souvent ces personnages se moquent des autres en les séduisant, en les trompant et en les soumettant à leurs seuls désirs. Certains de ces manipulateurs sont tellement emblématiques que leurs histoires ont traversé les siècles :

  • Côté français, il y a bien sûr le Dom Juan de Molière. S’il est jugé libertin, ce n’est pas seulement du fait qu’il enchaîne les conquêtes, trompant et mentant sans vergogne. C’est aussi en raison du fait qu’il ne suit aucune doctrine, qu’elle soit philosophique ou religieuse. Or le comportement de ce personnage, très moqueur envers la religion, entraînera justement la censure de cette pièce pendant près de deux décennies. En effet la scène dite du pauvre (acte III scène 2), où Dom Juan blasphème sur la religion, a beaucoup choqué le public de l’époque. Ce n’était pas concevable.
  • Côté italien, le plus célèbre reste Casanova, dont on connaît les aventures grâce à ses mémoires, intitulées Histoire de ma vie. C’est l'archétype du libertin au XVIIIe siècle, multipliant les expériences de toute sorte : intellectuelle, culturelle et sexuelle. Il y mentionne notamment cent quarante-deux femmes avec lesquelles il aurait eu des relations sexuelles. Or si ce personnage est aujourd’hui encore très connu du grand public, c’est qu’il inspira un très grand nombre de cinéastes, et ce depuis 1927. Giacomo Casanova fut par exemple interprété par l’acteur John Malkovich dans le film de Michael Sturminger, Casanova variations, sorti en 2014, ou encore par Vincent Lindon, dans la dernière adaptation de son histoire, en 2019.

Les romans osent donc désormais parler à la fois d’amour et de sexualité, parfois même jusqu’à en rire comme dans le conte philosophique Candide de Voltaire (1759) : « Leurs bouches se rencontrèrent, leurs yeux s'enflammèrent, leurs genoux tremblèrent, leurs mains s'égarèrent ». Certains textes, souvent ironiques, soulignent même le danger que fait courir la compagnie du libertin. Ainsi le Marquis de Sade dans Les crimes de l'amour compare Mme de Verquin, l’un de ses personnages libertins, à une « sirène » ; créature très dangereuse dans la mythologie grecque, se servant de ses charmes pour attirer ses futures victimes. D’ailleurs le marquis de Sade est l’un des auteurs libertins les plus prolifiques et célèbres de son époque. Dans son œuvre, le libertinage revêt aussi un aspect philosophique, notamment dans son roman Histoire de Juliette : « Asseyons-nous et dissertons. Ce n'est pas tout que d'éprouver des sensations, il faut encore les analyser ». Cela dit, le roman libertin le plus célèbre d’entre tous reste Les liaisons dangereuses, de Choderlos de Laclos. Roman épistolaire publié en 1782, il se focalise principalement sur l’histoire de la marquise de Merteuil et du vicomte de Valmont, deux aristocrates libertins extrêmement manipulateurs, qui s’amusent à se compter leurs exploits. Or d'après Roger Vaillant, dans Le regard froid (XXe siècle), le libertin se fixe une stratégie qu'il suit scrupuleusement : le choix, la séduction, la chute, la rupture. Il jouit autant de la séduction que de la chute. Les liaisons dangereuses de Chordelos de Laclos en est le parfait exemple. Le Vicomte de Valmont, après être finalement tombé amoureux de Mme de Tourvel, un personnage dont il a causé la perte, connaît une chute destructrice. Il finit victime du piège qu’il avait lui-même imaginé, avec la cruelle marquise de Merteuil.

Quels sont les exemples de romans libertins ?
Le vicomte de Valmont (John Malkovich) et la marquise de Merteuil (Glenn Close) dans le film de Stephen Frears (1988).